LA QUESTION DE LA LIBERTÉ POLITIQUE
C’est peut-être sur la question de la liberté politique que l’évolution est la plus sensible, d’autant qu’entre 1998 et 2011 François Huguenin a découvert la pensée politique libérale, ce qui le fait conclure à « la négation de la liberté » comme « face noire de la pensée réactionnaire » (104) : sur ce point, « l’analyse d’Hannah Arendt est fondamentale ».
Selon Huguenin, en effet, « en réduisant toute liberté à celle de la communauté, Maurras identifie la liberté à la souveraineté », identification qui, selon Arendt, est la « conséquence la plus pernicieuse et la plus dangereuse de l’identification philosophique de la liberté et du libre arbitre » (105), alors que, reprenant le cours de son ancienne édition, il reconnaît précisément, par la bouche de Léon de Montesquiou, que l’Action française refuse la confusion de la liberté et ...du libre arbitre (114). Maurras, de fait, refuse le volontarisme rousseauïste, qui conduit au totalitarisme. Il pense la liberté en termes de pouvoir, non de souveraineté comme concept métaphysico-politique.... Si, comme le rappelle Léon de Montesquiou avec toute la tradition philosophique depuis Platon, il est vrai que pour Maurras, « la liberté ne signifie que ceci : “ obéir et n’obéir qu’aux lois qui règlent notre existence ” (114) », cela n’implique pas pour autant que l’obéissance soit le dernier mot de la liberté elle-même et que Maurras fonde uniquement « sa politique naturelle sur la nécessité » (104), ou plutôt l’y réduise. Maurras fonde plus profondément sa politique naturelle sur l’amour et la gratuité - c’est tout l’apport de la préface à Mes Idées politiques, intitulée précisément « La politique naturelle » -, où affleure la notion de personne, que Huguenin évoque sans analyser le texte (86) - , et sur la perfection humaine (« On est plus libre à proportion qu’on devient meilleur »)... Il est donc faux de prétendre que Maurras réduirait toute liberté à celle de la communauté. Cela, c’est Rousseau et la Volonté générale. Le lecteur de Saint Thomas et de... Sophocle, sur lequel terminait le premier Huguenin, s’y refuserait d’ailleurs.
Mais faut-il par ailleurs réduire la liberté politique à sa conception libérale ? Ne convient-il pas également de l’interroger alors que, Huguenin le reconnaît lui-même à la fin de son ouvrage, elle est en voie de dissolution, l’individualisme finissant en ce début de XXIe siècle de développer ses contradictions internes ou plutôt sa propre logique mortifère, qui dissout le lien politique lui-même ? Un libéralisme politique dont il montre du reste les limites chez Aron lui-même (107), en raison de son caractère formel qui est ignorance métaphysique du pauvre (Boutang est, sur ce point, irremplaçable dans la condamnation du libéralisme), et dont le développement historique, après les horreurs sociales du XIXe siècle, a entraîné la négation des libertés civiques les plus fondamentales ? La démocratie a engendré, notamment depuis le milieu des années 70 du siècle dernier, une mise en coupe réglée des libertés individuelles notamment sur le plan de la liberté d’expression, après avoir, dès la révolution, annihilé les libertés locales, professionnelles et familiales, avant d’attenter à l’identité humaine et sociale (homosexualisme, gender, décomposition de la notion de famille).
Parler de « jacobinisme blanc » est une formule aussi facile que fausse. Si Boutang lui-même regretta que Maurras fût, pour des raisons tenant à la métaphysique des Lumières et à l’histoire politique du XIXe siècle, réticent à évoquer la « Liberté » et la « liberté politique », pour ne parler que des « libertés » (car le pluriel suppose le singulier), toutefois, il ne renia jamais sa conférence de 1939 heureusement rappelée (453) où « il n’y a [...] aucun sens à mettre la liberté politique à l’origine de l’Etat, non parce qu’elle affaiblit quantitativement son pouvoir mais parce qu’elle le dénature, qu’elle introduit en lui l’indéfini et la démesure, les principes de l’anarchie et du despostisme.» D’ailleurs Huguenin continue de le reconnaître : « il n’y a pas de tentation fasciste dans cette jeunesse d’Action française, pas plus que de complaisance dans l’extrémisme. Bien plus tard, en 1990, Raoul Girardet reconnaîtra que l’Action française a évité à sa génération de sombrer dans le fascisme » (451). D’autant qu’il est faux de prétendre que « le système représentatif est rejeté » (103). Tout en reconnaissant en effet que l’Action française a constitué (588) « une critique d’une qualité exceptionnelle du dogme démocratique moderne », Huguenin reproche à Maurras d’avoir défini l’homme comme animal social plus que comme animal politique, « s’éloignant ainsi de la conception aristotélicienne de l’homme » (590) : Maurras l’explicite dans sa préface à Mes idées politiques, à ses yeux, les deux termes sont corrélatifs. Aussi est-il faux de prétendre qu’il résout le problème de « la participation des citoyens au pouvoir [...] par la séparation entre la société civile et la sphère politique, c’est-à-dire de manière non politique », car s’il refuse le régime d’assemblée, il milite au contraire pour de réels parlements, non pas dans le cadre d’un « régime » parlementaire - pour lequel sa critique de la représentation se représentant devant elle-même reste valable - mais aux plans non seulement professionnel (homme comme animal social), mais également communal et provincial : « Il existe un parlementarisme sain, utile, nécessaire, c’est celui des assemblées représentatives des corps et des communautés. [...] En tant qu’il gouverne, l’Etat doit laisser les compagnies et les corps s’administrer sous son contrôle par leurs délégués et représentations. En tant qu’il légifère, il doit consulter à tout propos et aussi souvent que possible ces délégations compétentes. Tout manquement fait par l’Etat à cette double règle est une faute qu’il commet contre lui-même » (Kiel et Tanger, 295).
Il conviendrait encore de revenir sur le primat accordé par Maurras à l’institution qui, contrairement à ce qu’écrit Huguenin, ne lui fait pas oublier l’homme ni absolutiser la monarchie. Là encore, ancienne et nouvelle versions, accolées l’une à l’autre, se contredisent. Ainsi, alors que Maurras fait observer à Sangnier qu’ : « un point de coïncidence du mot hiérarchie et du mot tradition, il n’y en a qu’un : et c’est le mot hérédité » (134), Huguenin remarque, sans étayer sa remarque sur aucun texte : « Maurras fait un coup de force logique » en oubliant que cette convergence peut également exister « dans la coutume aristocratique élective », « une certaine forme de démocratie, et assurément dans un régime mixte, au sens de Thomas d’Aquin ». Du coup, la monarchie serait « à la fois présentée comme la coutume de la France [...] et emblématisée, comme ici, en régime d’ordre et de tradition par excellence et à l’exclusion de tout autre ». Or quelques pages plus loin, il introduit ainsi une réponse de Maurras (140): « Prudence, la monarchie n’est pas le seul bon gouvernement »s. Et de le citer : « Ce qui est éternel, c’est le principe d’hérédité : c’est la bonté du gouvernement des familles », avant de commenter : « aristocratique ou monarchique, la variante monarchique étant la plus répandue car la plus simple ». Du reste, comme Huguenin le reconnaissait encore (138), pour Maurras, « ce qu’apporte l’ordre royal, aux citoyens, aux associations, aux groupements, ce n’est que la “ faculté d’exister librement, de se développer sans contrainte, de vivre en paix sous des lois justes. ” L’ordre en un mot. Mais “ l’ordre n’est qu’un moyen. C’est un point de départ ” qui garantit la durée et permet le possible, ou le meilleur ». C’est pourquoi, « cet aspect de la défense de la monarchie, comme garant des libertés des personnes et des communautés, reste et demeure incontestablement le point fort de l’analyse maurrassienne » (138-9). Et de conclure : « l’idée [monarchique] maurrassienne est concrète, charnelle, demande la réalisation, sans quoi elle est morte » (145), ce qui contredit, là encore, ce jugement nouveau : « Sa défense de la monarchie aura finalement été une construction littéraire » (593).
Axel Tisserand (à suivre)
L’Action française, François Huguenin, Tempus, Perrin, 2011, 12 euros
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