mercredi 21 décembre 2011

PONCIFS ANTIMAURRASSIENS (1)

Patrice de Plunkett, auteur avec Philippe Hamel, au temps de sa jeunesse maurrassienne, sous le nom de Patrice Sicard, d’un livre-débat intitulé "Mao ou Maurras", a-t-il à ce point oublié la formation reçue dans les camps Maxime Real del Sarte qu’il pose, en introduction à une critique dithyrambique d’un livre de François Huguenin,....... ce que, par estime intellectuelle, nous espérons être de simples questions rhétoriques ? Ainsi : « comment expliquer le prestige de Maurras durant les années 1920-1930 ? Que des auteurs de l’envergure de Maritain ou Bernanos aient été « mêlés de si près » (dit François Huguenin) à l’histoire de l’Action française, semble une énigme aujourd’hui. On se gratte la tête en découvrant que Maurras en 1938 était appelé « cher Maître » par Jean Paulhan, qui allait devenir un cerveau de la Résistance... » Sa tête, Plunkett se la gratterait davantage encore s’il apprenait par hasard que Paulhan continuera d’appeler Maurras « cher Maître » jusqu’à la mort de celui-ci en 1952 (mais ne soyez pas impitoyables : surtout ne le lui dîtes pas !). Si un homme de la trempe de Patrice de Plunkett se gratte effectivement la tête en « découvrant » de telles « énigmes », alors oui, De Gaulle avait raison, la vieillesse est un naufrage... sans être une affaire d’âge : elle commence quand on ne veut plus se souvenir de l’enfant qu’on a été, disait Bernanos...
Si Maurras, du reste, n’est plus qu’une occasion de se gratter la tête, pourquoi un énième colloque, en octobre, « Maurrassisme et littérature » ? Pourquoi, bientôt, un cahier de l’Herne qui rassemble des signatures différentes et divergentes, mais souvent prestigieuses ? Pourquoi cette réédition, de plus augmentée, de l’ouvrage d’Huguenin lui-même, « A l’école de l’Action française » en un sobre « L’Action française », de plus dans une édition de poche ? Pourquoi Plunkett ressent-il le besoin d’écrire deux longs articles sur son blog ? On se demande aussi comment il se fait que Bainville, qui disait tout devoir à Maurras fors la vie, ne quitte pas l’actualité éditoriale... Pourquoi, en somme, n’en a-t-on jamais fini avec Maurras et l’école d’Action française ?
Au fond, ce qui est intéressant, c’est autant la critique de Plunkett que l’édition « augmentée » (on verra de quoi) d’Huguenin..., à propos de ce que ce dernier y appelle « une bulle mentale »... Proust, lui, parlait de « cure d’altitude mentale »... Mais n’est pas Proust qui veut... Il est vrai que Proust, lui, ne se grattait pas la tête en lisant Maurras...
Nous ferons un sort au livre d’Huguenin... Il y faudra plus de temps, car nous avons encore en mémoire son « A l’école de l’Action française » de 1998. Mais ce soir, occupons-nous de Plunkett : car même si, comme le disait Maurras, le papier souffre tout, comment peut-on tolérer qu’il reprenne, à son tour « sans sourciller », l’insanité huguenesque suivante... « Ecole de pensée beaucoup moins « réaliste » qu’elle ne le croyait, l’AF (comme presque tous les courants politiques de 1900) avait contribué« sans sourciller » à faire tuer un million de Français en 1914-1918 : « au nom de la France érigée en absolu, les Français furent sacrifiés à une guerre qui, près d’un siècle plus tard, semble absurde à leurs descendants », écrit Huguenin  » ? Un propos peut ne pas honorer son auteur, mais également celui qui le reprend à son compte, surtout quand il sait qu’il est faux. Nous passons sur la démarche antiscientifique d’Huguenin qui, « sans sourciller », juge l’attitude de Maurras en 1914 à l’aune de l’état d’esprit des Français de 2011... Mais, exception faite de Viguerie et d’Abed (les références de Plunkett et d’Huguenin ?), qui ignore que Maurras, précisément, n’a jamais fait de la nation un absolu ? Une preuve parmi d’autres : c’est en ...1916, c’est-à-dire à la face de l’ennemi, qu’il exprime son regret jamais éteint de la chrétienté et qu’il proclame haut et fort que la nation moderne représente une régression du genre humain. Sa déesse France, Boutang l’a magistralement montré, est une déesse relative, humaine, très humaine, vecteur d’universel. Il ne fut, par exemple, jamais tenté par cette forme morbide de particularisation de l’absolu qui repose sur les dérives racialistes ou sociobiologisantes, dérives dont il se moqua dès la fin du XIXe siècle.
Mais outre que ce n’est pas 1 million, mais 1,5 million de Français qui sont morts, comment oublier que dès le début de la décennie Maurras annonça que la philosophie de la République « au bas mot, en termes concrets, [...] doit nous représenter 500 000 jeunes français couchés froids et sanglants, sur leur terre mal défendue »... « Au bas mots », en effet... Sa haine de la République, son pacifisme patriotique de 1939, même sa position, contestable mais explicable, durant la deuxième guerre mondiale, sont le fruit de ce traumatisme jamais surmonté, de ce massacre jamais accepté. Plunkett a-t-il oublié l’éloge funèbre de Maurras pour la mort au combat de celui qu’il nommera le « prince de la jeunesse », Henri Lagrange, avec lequel pourtant il s’était fâché pour des questions de stratégie politique avant la guerre ? « Hélas, il avait vingt ans. » Le rossignol des tranchées, c’est Barrès, républicain pour l’éternité, ce n’est pas Maurras...
De même, l’Action française, une «  école de pensée maurrassienne figée dans ses références d’avant 1914 », comme Plunkett cite encore Huguenin ? Plutôt, sur la question sociale notamment, l’Action française, saignée comme la France en 1918, privée de l’inventivité et de l’audace d’avant-guerre. Il est vrai aussi que certaines menaces occupèrent les esprits : la menace communiste (sur le territoire national, le marxisme hypothéquant les luttes sociales) et la menace allemande, à la porte du pays, que le Père-la-Victoire-Perd-la-Paix ne sut pas écarter de manière pérenne... Mais si l’Action française se fossilisa à ce point, pourquoi est-ce son existence même qui empêcha la constitution d’un fascisme à la française ? Pourquoi en 1939 un esprit aussi libre et brillant que le jeune Maurice Clavel est-il détourné de la tentation doriotiste puis collaborationniste par... Maurras ?
« Pour avoir sans doute sous-estimé l’évolution du monde vers les régimes de masses, pour n’avoir pas suffisamment réfléchi à l’adaptabilité de leur discours à la modernité, les maurrassiens ne pourront que déchanter en constatant que les combats qui s’annoncent ne sont pas leur combat », comme Plunkett cite, toujours « sans sourciller », Huguenin : dans ces conditions, comment l’Action française fait-elle pour attirer encore et toujours, entre les deux guerres, la jeunesse la plus brillante ? Rappellera-t-on que c’est précisément une enquête auprès de la jeunesse belge révélant en 1926 que Maurras est son maître à penser, qui déclencha la condamnation, fruit d’une basse manœuvre cléricale (comme il y a de basses manœuvres policières), laquelle révulsa à ce point le chevalier Bernanos qu’il se rapprocha alors de Maurras quand un auteur « de l’envergure de Maritain » obéit avec zèle aux ordres du Vatican - il m’a toujours paru scandaleux de rapprocher les figures si opposées de Maritain et de Bernanos - ? Rappellera-t-on que la page littéraire du quotidien n’en fut pas moins composée, à partir des années 30, par quatre rédacteurs dont l’âge cumulé ne dépassait pas cent ans et que Maurras leur laissait toute liberté, précisément parce qu’il savait qu’il ne pouvait pas suivre l’actualité dans cet ordre, pris qu’il était par une réalité dont on peut nier qu’elle fut « véritable » mais que la ruée allemande de mai-juin 40 rappela aux oublieux... ce qui donne une saveur particulière à cette autre insanité huguenesque : « La guerre de Maurras est une guerre inventée, imaginée dans l’appartement de la rue Franklin, où à l’ennemi réel, l’Allemagne se superpose un ennemi plus irréductible et moins identifiable, le spectre de la mort du pays  »... Nous qui croyions qu’entre 1940 et 1944 la mort du pays était devenue plus qu’un spectre... Ce dont Maurras n’avait cessé de prévenir une république qui prenait ses rêves genevois pour la réalité ... « véritable », préférait par principe philosophique « véritable » jeter Mussolini dans les bras de Hitler ou, par intuition stratégique « véritable », placer sa confiance dans le rouleau compresseur soviétique après avoir cru, vingt ans plus tôt, dans le rouleau compresseur russe...
Trop de conservateurs à l’AF entre les deux-guerres ? Bien sûr ! Mais peut-on condamner l’Action française pour son conservatisme et approuver une condamnation qui la priva d’une partie importante de cette jeunesse, qui alla se perdre dans l’impasse du démocratisme-chrétien avant de perdre la foi ? L’impuissance à faire le coup d’Etat ? Egalement ! On sait même que c’est ce qui détourna le jeune comte de Paris de l’AF, plus encore que des questions de doctrine (ses valises étaient prêtes, en Belgique, le soir du 6 février 34). Mais affirmer avec Huguenin que la « politique de soutien [de Maurras] aux forces conservatrices [...] ne se démentira pas et trouvera son logique aboutissement en la fidélité à Vichy » est un peu court quand on sait précisément que 1) l’Action française inspira peu Vichy ; 2) que lorsqu’elle l’influença, ce fut précisément, elle qui n’avait rien compris "aux mouvements de masse" de l’ère moderne, pour s’opposer avec succès à la tentation de constitution d’un parti unique, ce que les Collabos de Paris ne lui pardonneront jamais ; 3) que les hommes de Vichy et ceux de la Résistance étaient souvent issus des mêmes cercles de l’entre-deux guerres, qui étaient loin d’être tous influencés par l’Action française... et que du reste, on retrouva dans la Résistance d’anciens Vichyssois... La frontière idéologique était poreuse, comme le montrera la politique économique, fort peu conservatrice, menée sous la IVe et la Ve républiques (nous renvoyons sur le sujet aux travaux remarquables de François-Georges Dreyfus)...
Mais le mieux est à venir et concerne les relations de l’Action française avec l’Église catholique... «  Cette coupure entre le « réalisme maurrassien » et la véritable réalité [il y tient], s’était constatée aussi dans les démêlés de l’Action française avec l’Eglise catholique. La mise à l’index de l’AF en 1926 (levée en 1939 [tiens, pourquoi ?]) avait été le révélateur d’un malaise et d’une illusion préalables : malaise de la part de l’Eglise, illusion de la part des maurrassiens.  » Nous y répondrons prochainement. (À suivre)



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